Comment
le design produit « made in France » peut-il évoluer ? a-t il un
intérêt ? Comment s‘accorde t-il avec le redressement productif et la réindustrialisation
française ?
Le
constat qui saute à l‘œil est la bipolarisation entre le monde du luxe et
celui du moyen/bas de gamme. On observe d‘un coté, le marché juteux des produits de luxe légitimés
par leur histoire, leur statut et dynamisé
par les créatifs du marketing, et de l‘autre les produits de grande
consommation en concurrence directe avec le « made in China ».
Cette « bipolarité »
est bien de chez nous, comme si l‘industrie à l‘instar de la société française voulait reproduire une barrière infranchissable
entre élitisme et volonté farouche de démocratiser.
En France, on démocratise. A titre d’exemple, Renault a ouvert l
‘utilitaire aux familles nombreuses (Kangoo), rendu accessible
le monospace dans toutes les gammes (Espace, Scénic, Twingo). Toujours dans sa démarche
logique de constructeur « populaire », Renault s’est
engagé dans une course au low cost en produisant la Logan. Cette démarche
démocratique et créative se révèle en effet payante dans les périodes d’émulation
économique mais qu’en est il aujourd’hui ? En période de crise, la donne
change. Aujourd’hui la marque veut démocratiser l‘électrique en
le déclinant déjà sur plusieurs produits moyenne gamme, sans avoir un seul
produit électrique phare de haute qualité sur lequel s’appuyer. On peut alors s’interroger
sur les retombées à terme. En parallèle
de cette démocratisation, dans le
luxe français, l‘éternel sac Kelly fait la une des
journaux sans évolution notable. Le
N°5 de Chanel continue encore et toujours à faire rêver. Hermès prône son
savoir faire de sellier traditionnel (…) Rien ne change, tout est figé, c’est la tradition et la légende qui
font la force du luxe français. Eh
oui, en France, on « met en conserve »
nos élites (oui, mais dans de jolis bocaux).
A contrario, à l‘étranger, le constructeur
automobile Tesla et le fabricant d’électroménager Liebherr sont tous deux
positionnés haut de gamme, ils ont un
réel avantage qualitatif et sont innovants. Tous deux jouissent d’abord d‘une image haut de gamme portée par des consommateurs exigeants.
Dans un second temps, ils déclinent leurs innovations en vendant des produits moyenne gamme et démocratisent
par ce biais leurs innovations (cool, demain je m ‘achète une Tesla
électrique ou un Liebherr moins cher). A
l’étranger même les maisons de luxe jouent sur cette haute qualité. A titre
d’exemple, La Prairie, marque de cosmétiques suisse, Dr
Hauschka, marque allemande (…) Tous prônent un
luxe haute qualité intrinsèque au produit, une forte technicité scientifique et de l’innovation dans un
esprit contemporain.
Je vise
à montrer que ce manque « de conception globale qualitative », de mélange savant entre usage,
technologie, durabilité, finition, innovation, éthique, systémique et désirabilité
dans l‘offre des produits français (même si nous avons quelques
prémices : exagone Motors, DS…) fait cruellement défaut en cette période
de rigorisme.
Et le
design produit dans tout cela ? Tout d‘abord pas de souveraineté
industrielle sans souveraineté du design. Le design se fait le concepteur et le
porteur de toutes ces notions évoquées auparavant. Le design hume ce besoin
depuis longtemps. Le designer industriel de France, lui, attend par exemple de
pouvoir enfin concevoir un frigo de qualité dont les lignes s‘apprécieront encore demain, dont les cotés, l‘intérieur, le détail et l‘usage feront écho à l'élégance de sa façade, et dont le logo sera directement bosselé
sur la matière comme une « marque inaliénable » au produit. Mais les
financiers de la marque accompagneront-ils le designer dans cette démarche qualitative ? Les
marques françaises oseront-elles une montée en gamme avec une augmentation du
prix d’achat, se permettront-elles ainsi d‘apporter de vraies innovations ?
L’usager pourra-il enfin avoir le plaisir de revendre le produit français comme
une vieille Mercedes, datée d’une époque, en vantant ses mérites d‘hier et d‘aujourd’hui ?
Et la
démocratisation ? Pour démocratiser, il faut déjà créer des produits de valeur qui
supportent le coût de l‘innovation, pour les décliner dans un second temps sur
des produits moyenne gamme. On ne peut pas démocratiser sans rien avoir à
démocratiser, or le luxe n'innove
pas fondamentalement et les
produits moyenne gamme ne peuvent supporter le coup des innovations optimum !
Alors Mesdames,
Messieurs les Français ? Quand trouverons- nous ces « nouvelles
classes d‘objets » favorisant « la conception globale qualitive »,
permettant le courant démocratique entre notre élitisme légendaire et notre simplicité populaire ?